En ce jour, j'ai l'immense joie de vous partager le second chapitre de mon livre intitulé "Les maladies du Bien". Je sortais à peine de la terrible expérience de la mort d'un être proche qui laissait en arrière de lui toute une famille en deuil... Ma souffrance en fut alors si intense que j'en avais perdu la foi en le Divin qui avait pourtant accompagné mon existence depuis mon plus jeune âge!
"Bonjour,
je m’appelle Jacques". C’était de cette manière, tout
simplement et comme naturellement, qu’il vint aux devants de moi.
Il
n’y avait aucune explication rationnelle quant à l’acceptation
d’engager une conversation avec celui-ci plus qu'un autre. Tous
ceux qui s'étaient présentés, je les avais envoyés valser. Cette
fois, je me laissais approcher. Très rapidement le sujet de
prédilection devint ma révolte envers Dieu. Mon esprit débordait
de cette rancune muette, vindicative et froide. M’entretenir du
Très–Haut ne faisait qu’aggraver la situation. Au sérieux du
sujet, Jacques semblait y associer son investissement total et sans
concession.
Tel
un chercheur d’or, il tamisait l’ensemble de mes réflexions pour
en extraire l’infinitésimale quantité de métal précieux
restante.Y en avait-il seulement encore? Cette attitude était aussi
curieuse que déroutante pour moi qui ne faisait aucun effort afin de
demeurer agréable. Discrètement, Jacques pénétrait néanmoins les
profondeurs de ma colère. Quelle singulière forme de dévotion que
de donner autant de sa personne à un être pareillement indifférent
que distant! Je m’engageais là sur une voie dont je ne savais
presque rien, persuadé de ma grande force et de mes capacités.
Nonobstant, je me retrouvais rapidement malmené face aux aptitudes
de mon interlocuteur. Il avait quasi réponse à toutes mes
interrogations négatives quant aux vicissitudes présentes ici-bas.
Il
mettait à mal la totalité de mes jugements que j'avais jusqu’ici
invariablement trouvés si bien fondés. Le mystérieux inconnu
faisait preuve d’un optimisme à toute épreuve. Il gardait
indéfiniment un regard positif sur les horreurs de cette terre et de
ceux qui s’y affairaient.
Cet
orpailleur de l’esprit était ni plus ni moins en train de vanner
ma haineuse sédition. Jacques incarnait le parfait pendant à ma
subite véhémence contre le Divin. Sa foi demeurait, sans équivoque
possible, indéfectible. Là où les maladies classiques
s’attaquaient aux défenses immunitaires, les siennes semblaient
assaillir l’ensemble de mes fortifications égotiques.
Elles
étaient pourtant aussi suffisantes que fières d’elles-mêmes.
Incroyablement, je prêtais bien plus de résistance à ses beaux
assauts que je n’en aurais trouvé à observer mes propres virus
d’autosatisfaction! J'aurais sans doute aimé me rendre
-inconsciemment- à l’évidence. Pouvoir me livrer sans condition
préalable et déposer, séance tenante, l’ensemble de mes armes.
Au
lieu de cela, je me décidais à tout tenter afin d’avoir le
dernier mot. Je mettrai en œuvre la totalité de ma mauvaise foi
pour contrer l’attaquant. Je trouverai dès lors de «bonnes
excuses». Me persuaderai encore et toujours que le difficile
parcours de mon enfance m’exemptait de certains devoirs. J'en avais
suffisamment soupé de mauvaises expériences dans ma courte vie! À
mes yeux, elles me donnaient ce droit impérieux d’être celui que
j'étais devenu. Après avoir surmonté tant d’épreuves
infantiles, je me sentais fort tout autant qu'altier. J'étais
au-dessus du lot!
Mes
capacités, je les avais conquises à la sueur de mon front et ne
devais surtout pas rougir des privilèges que cela me donnait.
J'allais les défendre coûte que coûte. Après tout, que chacun
profite de ses droits selon ce qu’il lui est dû, me disais-je. Qui
pourrait mieux savoir que moi ce que j'avais traversé pour en
arriver là? Qui serait en mesure de venir me dire où j'en étais et
ce que je méritais? Serait-ce cet inconnu sorti de nulle part? Ce
Jacques, avec ses belles sentences moralisatrices et son
questionnement quasi infini? D'où remettait-il en cause mes solides
fondations?
Je
ferai valoir l’intégralité de mes acquis et ce de toutes mes
forces, j'empêcherai l’assaillant de s’immiscer dans mes
défenses internes. Non et non! Je ne lui devais absolument rien et
ne voyais vraiment pas pourquoi j'aurais dû me rendre à cet
individu. Jacques ne semblait toutefois pas l'entendre de cette
oreille. Peut-être même considérait-il comme une mission que
d’entrer de plein fouet dans le gras ventripotent de mes pensées
égoïstes?
M’interpeller
de l’intérieur et sans relâche, ne laisser aucun recoin où me
dissimuler, paraissait être sa priorité. Toute forme de répit
aurait pu me consentir le loisir de cacher des zones d’ombres
restées inaccessibles. Cela même, il n’y consentait apparemment
pas!
Pourquoi
avais-je ce sentiment de ne pouvoir m’échapper? D’être
tellement mis à nu que mon «soi» en était livré. Aucune de mes
mauvaises fois répétées ne tenait devant son questionnement aussi
aiguisé qu’une fine lame de rasoir. Son argumentaire se révélait
illuminé de droiture. Comment était-ce seulement possible? En à
peine quelques tours tardifs de caserne, il avait imprégné mon
esprit de toute part. Il me mettait dans l’impossibilité d’ignorer
ce que cela était en train de bouleverser en moi. Quand bien même
j'estimais donner le change en m’efforçant de rester de marbre, à
l’intérieur tout était sans dessus-dessous.
Je
subodorais même combien Jacques voyait limpidement au travers de ma
prétendue muraille. Malgré mon apparence sereine et calme, rien n’y
faisait. Me maintenir à flots ce faisait pourtant au prix de tant
d’efforts! L’amour propre, si l’on peut l’appeler ainsi, me
poussait à continuer de croire que j'allais reprendre la main. Que
diable! Lui tenir tête était devenu totalement indispensable,
surtout vital, afin de préserver mes intérêts. Pourquoi tout
abandonner là, comme ça, pour rien et sur le champ?
Je
traversais une tourmente ô combien difficile avec la perte de mon
grand père tant aimé. Je m’étais déjà tellement battu pour
rester à la surface, ne pas sombrer et il me faudrait céder
inconditionnellement ce bel édifice! Rien ne devait laisser suinter,
qu’il puisse même s’agir d’une hypothétique autosatisfaction,
d’une fierté mal placée ou d’un léger sentiment de
supériorité.
Non!
Je ne consentais pas à céder ne serait-ce qu’un petit bout de ce
terrain que j'avais si chèrement gagné. Je pouvais bien me résoudre
à l’écouter, à entendre ses arguments mais j'allais assurément
me défendre et livrer inventaire de tout ce que j'avais affronté de
par le passé. C’était une magnifique lutte d’arrache-pied qui
m’avait conduit jusqu’ici et j'étais persuadé d’être un
jeune homme particulièrement brillant. «Pas question de brader ma
maison «Moi» ni d’offrir une partie de ce jardin si bien clôturé
tout autour» me murmurais-je secrètement.
Je
resterai aussi agréable que possible, et même courtois, face à ce
cambrioleur spirituel. Pour autant, je ne le laisserai assurément
pas sucer ma substantifique moelle. Je venais de réussir à balayer
la terreur inattendue que Jacques avait semé dans mon for intérieur.
J'identifiais
clairement les menaces que cette attaque virale faisait peser sur
moi. J'en avais même analysé chaque donnée. Verdict clair et sans
appel. Je n’avais plus rien à craindre dès lors! Après tout, il
ne s’agissait pas d’une guerre ou d’un combat mais simplement
de partager des avis différents, d’éventuellement aller jusqu’à
la confrontation d’arguments contradictoires. Retourné au calme et
à la solitude de mon lit, j'étais toutefois assailli par des
légions de questions.
Pourquoi
réagissais-je intérieurement comme si Jacques m’avait violemment
pris à parti? Pourquoi m'accrochais-je à ce sentiment d’avoir été
presque bafoué voire humilié?
Je
me devais d’y réfléchir en profondeur et de tenter de comprendre
pourquoi je m’étais senti si méchamment bousculé? Était-il si
légitime de me retrancher et de défendre mes positions avec tant de
véhémence? Tant d’expressions guerrières ne pouvaient-elles
vraiment dissimuler qu’un simple sentiment de gêne? Et si cela
cachait vraiment quelque chose de bien plus insidieux et que je ne
voulais pas m’avouer à moi-même? Peut-être percevais-je Jacques
tel un chevalier prêt à me désarçonner?
La
nuit porterait conseil… Je l'avais laissée faire son œuvre. Il en
fut vraiment ainsi et bien au-delà de ce que j'aurais pu redouter.
Le royaume des rêves restait, quoi qu’il arrive, celui de
l’inconscient. Là, il pouvait y produire tout ce que bon lui
semblait. Le bougre ne s’en priva pas et livra une nuitée de
fantasmagories détestables. Des songes balafrés de scènes
pornographiques orgiaques des plus repoussantes m’avaient possédé.
Réveillé de bon matin, je m’étais complètement recroquevillé.
Très étrangement, j'avais repris les forces nécessaires pour
contre-carrer Jacques!
Plus
question de le laisser s’immiscer dans mes lignes arrières et,
rapidement, lui prouver qu’il ne m’avait pas impacté. Je voulais
me montrer intact car fort et sûr de mon fait. Néanmoins, au secret
de mon cœur, je m'en trouvais non seulement terriblement touché
mais surtout en plein dans le mille. Me l’avouer était devenu une
nécessité qui seule permettrait de ne pas perdre la face. Il me
fallait impérativement identifier au plus vite la vilaine blessure à
panser. En étais-je vraiment capable? Cette dangereuse fêlure
traduisait-elle une réalité cachée? Laquelle? Pourquoi? Comment
avais-je pu me la dissimuler depuis si longtemps? Profondément
bousculé et chamboulé, j'acceptais, ou plutôt me sentais obligé,
de me remettre en question. Aussi implacables et impeccables que
puissent paraître mes raisonnements et démonstrations, Jacques en
avait toutefois eu raison. Cela semblait n’être qu’une plongée
aisée jusque dans mes citadelles intimes.
Le
reste (incommensurable reste) d’orgueil et de fiertés mal placés
qu'il me restait devait alors se concentrer à donner le change. La
quantité de bêtises accumulées durant tant d’années devrait
bien suffire à me faire tenir les quelques jours restants des
classes. Avec un peu de chance et de malices, j'en demeurais certain,
je tiendrais le coup. De retour vers Jacques, j'allais faire front
tout en admettant au plus profond de moi combien je me savais touché.
Impassible,
comme sûr de son fait, Jacques ne concédait rien aux démonstrations
égoïstes que je croyais pourtant si bien travesties. J'avais
cependant mis là tous mes meilleurs soins pour qu’elles ne
puissent être démasquées! L'air fumé des doux parfums de fleurs
de lilas frémissait à mes narines. Il marquait surtout la clôture
d’un nouveau tour de caserne m’ayant d'avantage mis à mal! Tel
un véritable péripatéticien,
j'en apprenais tant et plus sur mon propre compte à chaque
circonvolution. Mon égoïsme s’effritait peu à peu là où
Jacques avait davantage démonté, l’air de rien, un pan de mon
illusoire forteresse. Ma propre suffisance me sautait aux yeux, sans
échappatoire possible, me laissant face à moi-même. Je pouvais
ainsi me voir, et comme jamais, tel que j'étais!
Avec
une sérénité certaine, Jacques avait l’art singulier de
continuer à démanteler mes arguments fallacieux. Il me montrait ce
que je pensais, avec certitude, être le seul à savoir me
concernant. Mon égocentrisme était en totale liquéfaction et me
laissait dans l’incapacité de m’énerver. Il m'avait rendu
prisonnier de mon propre jeu: prise de conscience soudaine de ces
années gâchées et passées à construire un édifice sans
fondement et complètement bancal.
«Cette
frêle construction: c’est moi!» m’avouais-je assez péniblement.
Un petit «Je» tout étriqué et rabougri se contemplant si
majestueux et beau. Voilà... Le château for(t) est en flammes! Pont
levis abaissé et chaque petit soldat de mes cellules tentait de
fuir. Les traîtres… Ils souhaitaient se rendre sans résistance
aucune. Mon grandiloquent général «Moi» s’acharnait alors à
organiser une ultime contre-attaque. Et ce, quand bien même la cause
de l’envahisseur paraissait complètement entendue.
«Maître,
ceci est l’œuvre d’un sauveur contre lequel il ne reste rien à
faire» hurlait ma vulnérable petite armée! En ridicule despote
des lieux, j'ordonnais la fermeture immédiate de la grande porte. Je
me tenais droit devant, en rêvant soudainement et surtout très
secrètement, de voir ma forteresse se transformer en monastère. Les
combattants y deviendraient moines déclamant tous:
«Écoute
Jacques, car c’est ton vrai Moi qu’il te fait voir et entendre
pour la première fois».
En
guise de réponse, je menaçais de les fusiller pour haute trahison.
J'organisais la contre-offensive immédiate ainsi qu'une tentative de
déstabilisation de l’adversaire… Mon bon Jacques, tu la recevais
encore et toujours sans colère ni signe d’agacement. Tout juste la
démontais-tu avec une facilité totalement déconcertante.
Absolument battu à plates coutures, je ne pouvais plus trouver
refuge nulle part afin de cacher mon démesurant faux amour de
moi-même. Tout devenait aussi limpide que de l’eau de roche. Il ne
subsistait alors que deux solutions. Soit nier en bloc dans une
mauvaise foi infinie afin de prendre la fuite lâchement. Soit, tout
justement, admettre et ne plus rien me cacher à moi-même, ni à toi
qui avait réussi à provoquer ce fantastique séisme!
Je
pouvais là, finalement, m’ouvrir à quelque chose de totalement
nouveau et de radicalement inconnu. Immédiatement, la peur reprit le
dessus au détriment de la sage reddition. J'allais échafauder une
troisième voie. Elle était probablement désespérée mais je
m’entichais à continuer d’alimenter cet illusoire combat.
Je
restais prisonnier de mon jusqu’auboutisme.
Il
me fallait infiniment jouer de l'ensemble des subterfuges possibles
et imaginables afin de ne pas capituler. Tout était bon afin de
résister encore un peu et ce dans le seul espoir de trouver, enfin,
une faille dans la lumineuse armure de Jacques. Pourtant, de faille
je n’en débusquais point! Arrivé au sommet de mon art mensonger,
tu n’eus d’autre solution que de me mettre face à mes turpitudes
internes et de m’imposer un choix sans concession. Il était temps
de rendre les armes ou de m’enfuir.
Mon
éclaireur de conscience ne me laisserait plus lui tendre d’inutiles
et futiles pièges. Déjà presque un mois que tu faisais preuve de
patience et de magnanimité à mon égard pour ne plus avoir à en
faire d’avantage.
Tu
avais assurément compris combien j'étais prêt à prolonger ce
vilain jeu indéfiniment. Se tenait là mon unique solution afin de
ne pas prendre la bonne décision: celle de tout reconnaître et
d’engager un changement réel et sans détour. Je tenterais
évidemment de t’amener insidieusement sur quelques pentes
savonneuses, l’air de rien.
Tu
ne t’y laisserais point prendre, évidemment. Tu attendais bien
d'avantage qu’une réponse… Un engagement! À compter de cet
instant, ce serait le silence ou la reconnaissance: celle de laisser
re-rentrer le Divin dans mon existence. Rien de moins!
Tes
paroles avaient dérouillé en moi des rouages si grippés que je
n’en connaissais pas même l’existence. L’huile bénite de tes
arguments avait pénétré en profondeur la mécanique égotique qui
m’animait depuis si longtemps. Maintenant le travail de
lubrification bien engagé, je savais les temps pliés et révolus.
Les belles fortifications n’étaient plus qu’illusions.
S’engageait le combat duel d’un vieux Moi renfrogné se refusant
sans cesse à toute réforme. Qu’allais-je faire de cette belle
recherche de la virginale nouveauté? Mon Dieu que le poids de mon
quotidien était soudainement devenu lourd!
Mes
pesants travers avaient fini par réussir à passer pour du confort
là où ils forçaient un déploiement d’énormes subterfuges et de
mensonges. C’était pourtant ma seule voie possible au fallacieux
travestissement de moi-même. L’onction avait été si puissante
qu’elle en arrivait à s’attaquer à mon inconscient.
Dans
le tréfonds de mes songes vint s’immiscer ton action. Elle
provoquait des nuits particulièrement agitées au creux du dilemme
de ma nécessaire capitulation. En me réveillant, il n’était nul
besoin d’être psychanalyste pour comprendre que la lutte venait en
droite ligne du choc des mots reçus. Cette gangrène bénéfique
m’avait finalement gagné en conquérant l’ensemble de mon être.
Je ne voulais plus d’une de ses journées supplémentaires à tout
faire pour donner le change. Dans chacun des déguisements altruistes
de mes phrases, tu avais ponctué ta venimeuse bonté....
Les
maladies du Bien!
Pour
moi, il était grand temps d’y faire succomber la totalité de mes
vieux habits. «Allez Yan, allume donc le bûcher expiatoire!» La
prise de conscience devenait soudainement aussi fulgurante
qu’inéluctable. À bien y réfléchir, c’était un véritable
honneur que tu m'avais rendu là. En venant à ma rencontre, tu avais
pris le temps de m’écouter, de me parler et de me comprendre. Dès
lors, tu faisais offrande de la plus lumineuse chance qu’on ne
m'ait jamais donnée: me transformer de l’intérieur pour ne plus
seulement paraître mais Être!
Si
adversaire il y avait, ceux de mon ego, de ma suffisance et de mon
autosatisfaction figuraient en tête de liste. Le seul et véritable
adversaire, c’était moi-même et personne d’autre… Absolument
personne d’autre.
J'avais
été, et demeurais depuis tant d’années, mon propre belligérant!
Celui qui faisait entrave aux possibilités d’être vrai, de tendre
au juste et bon, de rechercher l’harmonie interne et externe,
c’était moi… Moi seul!
Toi,
que j'aurais pu si aisément et idéalement désigner comme mon pire
ennemi te présentait, et je le savais mieux que quiconque, tel le
plus merveilleux des amis. Personne n’avait su, auparavant, me
consacrer ce temps nécessaire, cette énergie, cette patience avec
autant de compréhension et de gentillesse. Maintenant, ta seule
exigence appelait un brin d’attention et de reconnaissance.
Jusqu’ici, tu avais donné sans rien exiger en retour. À ce jour,
je n’étais toutefois toujours pas allé te retrouver. Durant les
quarante-huit heures qui suivirent, nous n’échangions plus une
parole. Je comprenais que si je souhaitais reprendre les échanges,
il me faudrait d’abord faire preuve d’humilité.
Il
fallait m’engager à jeter au feu les vieux fantômes qui
tenaillaient mon corps et mon âme. Tout tenait dans un aussi
destructeur que minuscule mot: vanité! Durant ces deux longues
journées, je me postais à l’écart de tous, ne conversant avec
personne. Je n’en entendais pas moins intérieurement ta voix et
tes arguments. Je n’échappais pas plus à la tendre et aimante
détermination de ton regard posé sur moi.
Tu
avais clairement allumé quelque chose que je ne savais pas éteindre
ni même ne pouvais. Aurait-il seulement fallu que je le veuille
tellement, en y songeant avec sincérité, je savais combien cette
lumière était salvatrice. Tu restais le seul à avoir su repousser
aussi loin ce dont j'aurais dû avoir honte depuis si longtemps.
Qui
sait si tu ne saurais vraiment m’aider à brûler mes vilaines
tendances égotiques? Comment mes persistantes capacités à me
mentir à moi-même et à me trouver de permanentes excuses avaient
pu conduire à une telle suffisance? Il ne fallait pas refuser cette
perche généreusement tendue et surtout point d’une main aussi
serviable. Combien d’occasions aurais-je de me reconnaître tel que
j'étais vraiment? Cela se reproduirait-il seulement un jour? Non,
c’était probablement la plus éclairante chance de toute ma vie.
La
refuser, ou pire la nier, demeurait l’ultime risque de ne jamais y
arriver. Je me devais impérativement d’accepter, d’aller
au-devant de mes propres peurs et d’enfin changer afin d’Être
pleinement. La sagesse qui émanait de toi, et d’une certaine façon
les soins que tu m'avais déjà prodigués, me transperçaient.
Mon
empêchement devenait total. Dès lors, je ne devais plus reculer.
Comment pouvais-je encore continuer de lutter, d’avoir cette
mauvaise foi infinie? Ceci me desservait plus que quiconque au monde.
Il était vraiment temps d’arrêter ces résistances imbéciles et
de briser ma stupide surdité volontaire.
En
une poignée de jours, tu avais su mettre le doigt pile sur mes
endroits les plus délicats et douloureux. Tu avais fait éclater ma
suffisance, mon égoïsme et mon sentiment de supériorité qui
n’avaient, et je m’en rendais cruellement compte, aucune raison
d’exister.
J'allais
finalement capituler et me rendre sans condition préalable…
Reconnaître ma défaite.
À
y regarder d’un peu plus près, il ne s’agissait vraiment pas
d’une déroute. Cela s’avérait être une fantastique réussite!
Reconnaître mes défauts, te remercier (secrètement) toi qui les
avait fait exploser en plein vol. Ne pas m’être lâchement enfui
en te traitant de tous les noms, s'apparentait à une victoire.
Quelle magnifique et triomphale défaite que celle-là!
J'étais
évidemment encore si orgueilleux pour rendre grâce ouvertement.
Discerner mes défauts n’était pas la même chose que de les voir
s’évaporer… Loin s’en fallait! Néanmoins, le pas fatidique
était franchi et la décision finalement prise. J'allais renouer le
dialogue et la relation, avouer mes faiblesses et être maintenant
autant à l’écoute que possible. Terminées les belles postures
afin de me camoufler.
«Oui,
tu as raison depuis le début et je le professe. J’accueille dés
lors et à nouveau le Divin en mon sein et continuons sur cette voie
si tu le veux bien». Ouf! C’était fait et j'avais fini par, du
bout des lèvres et en service minimum, me livrer à toi.
Étonnamment, ce n’était rien. Aucun sentiment de faiblesse ou de
honte ne vint hanter mon intériorité et je me sentais, en cet
instant précis, en paix avec moi-même. Prêt à tenter un nouveau
départ. Tu reçus mes aveux avec simplicité et gentillesse. Rien
sur ton visage ne laissa supposer un quelconque sentiment de
domination ou d’orgueil. Bien au contraire, tu m'offris un large et
sincère sourire. Cela en disait tellement long sur ta joie de me
voir me ranger à tes côtés. J'étais aussi heureux que toi d’avoir
pu admettre un tel passif en si peu de temps. Je croyais de tout mon
cœur en mes chances de m’amender. Un sincère chemin venait de
s’ouvrir au changement en profondeur. Un bon-heur quasi instantané
m'envahit à l’idée de reprendre nos tours de caserne à
l'approche du couchant. Cette fois, j'avais la très ferme intention
de ne plus être «contre» mais bien «avec». De ne point lutter
pour me cacher (vainement) mais d'éviter d'échafauder des plans
dérisoires à contrer d'hypothétiques attaques qui n’en étaient
pas. Enfin, et surtout, d’arrêter de me mentir à moi-même en
permanence.
Quelle
simple joie… Dès lors, nous partions cheminer tous deux,
j'écoutais sincèrement sans déjà être en train de préparer mes
phrases, tentant d’avoir le dernier mot. J'allais pouvoir poser les
questions auxquelles je m’étais jusqu’ici refusé de peur que tu
y perces mes failles et mes peurs. Tout paraissait d’un seul coup
simplissime. Suffisait-il donc de reconnaître ses torts et ses
erreurs pour les voir s’envoler? Le banal fait de vouloir changer
semblait suffire à voir cela comme une affaire déjà entendue! Si
j'avais seulement su que c’était aussi aisé, alors je l’eus
fait depuis si longtemps! Comme libéré de ma propre emprise, je me
sentais pousser des ailes.
Rien
ne semblait plus facile que de tout reprendre à zéro. Envolé
l’égocentrisme, disparu l’orgueil, anéantie la suffisance ou
l’intolérance. Cheminant d'un même pas, écoutant et prenant
bonne note tout en jouissant de l’air embaumé de la fragrance des
lilas… Je savourais l'idyllique situation. Je re-vivais et n’avais
jamais été si heureux de m’être autant trompé, tant débattu
pour finalement en arriver là.
Les
jours qui suivirent furent tout bonnement fantastiques. Comme teintés
d’un sentiment permanent d’aisance et de facilité, proche d’une
impression d’invincibilité. J'allais bouter hors de moi ce qu’il
y avait de négatif et quand bien même la tâche semblait immense,
elle était à ma portée. Je ressentais une belle sensation
d'accomplissement.
La
sincérité de ma quête avait, apparemment, suffi pour venir à bout
de l’ensemble de mes démons. Je me surprenais en écoute, plus
ouvert que jamais et à même de résoudre tous problèmes venants.
S’ils s’en présentaient, alors je n’aurais qu’à les écarter
d’un simple et humble revers de la main. Rien ne pourrait résister
à la nouvelle et immaculée loyauté de mon cœur. J'avais gagné en
ouverture d’esprit, en humanité, en tolérance. Tout au moins m’en
persuadais-je... Et pourtant! Au sein de la caserne s’était
constitué un petit groupe de fervents amateurs des idées d’extrême
droite. Une soirée, il suffit que je les aperçoive, d’ailleurs en
train d’invectiver deux autres jeunes, pour les dénigrer et
vertement les critiquer. Tu pourrais ainsi voir combien j'avais déjà
progressé contre la haine et le mépris me disais-je. Cependant, ta
réaction fut aussi surprenante qu’inattendue.
«Qu’ont-ils
de si différent de toi et à quel titre peux-tu les condamner?» me
demandas-tu. J’étais totalement pris de cours et restais muet. "Voilà une preuve supplémentaire de son incroyable tolérance
songeais-je intérieurement." Tout de même, je ne pouvais me résoudre
à penser que sa réaction fut juste! Sans doute eut-il fallu que je
demande le pourquoi du comment mais je n'en fis rien. Le vendredi
soir qui suivit, je rentrais chez mon père, sourire aux lèvres et
enthousiasme (candide?) à bloc. Des dizaines de questions me
venaient à l’esprit et je brûlais d’impatience de pouvoir te
les poser. Il fallait néanmoins attendre les retrouvailles du
dimanche soir! Qui aurait seulement pu imaginer que je puisse, ne
serait-ce qu’un instant, vouloir me précipiter vers une caserne
militaire? Persuadé que j'avais d’ores et déjà résolu tous mes
problèmes personnels, mon questionnement central se condensait au
creux d'une unique interrogation: Comment être certain que l’on
fait le Bien?
Harnaché
de cette certitude que mes travers n’étaient plus que de vieux
souvenirs, je pensais pouvoir me concentrer dès maintenant sur la
question essentielle du Bien. Cette journée dominicale sembla
interminable... Combien je fus heureux d’apercevoir ton visage
empli de gentillesse et d’humilité en ce bout de quai!
La
semaine qui s’en suivit, tu ne répondis pas tant à mes
interrogations que tu me les renvoyais formulées de façons
différentes. Comment avais-je pu seulement oublier cette fameuse
technique de la maïeutique?
Tu la maîtrisais infiniment mieux que moi qui pouvais m’enorgueillir
d’avoir fait des études de philosophie. J'étais absolument
incapable d’utiliser cet art dont tu ne connaissais peut-être pas
même le nom mais que tu utilisais pourtant à la perfection! Une
magistrale instruction supplémentaire pour l’arrogant que j'étais
encore. Je retournais une fois de plus à mes leçons sans pour
autant me sentir vexé le moins du monde. Je pris conscience que pour
l’éradication de mes défauts, il demeurait plus de travail
restant que je ne l’avais imaginé. Quant à toi, Jacques, tu
savais rester simple et naturel en toute circonstance.
La
simplicité nouvelle du bon vouloir m'avait, tout de même,
transcendé et comme métamorphosé. Quel état de grâce! Ces huit
semaines de classes préparatoires écoulées m'avaient assurément
fait bien plus progresser que ces huit dernières années d’études
philosophiques. Je me rendais à l’évidence que j'avais acquis des
connaissances qui ne servaient finalement pas à grand-chose. Elles
m'avaient surtout permis de m’autoriser un surplus d’orgueil et
de vanité. Dur mais réel constat que celui-là! «Intellectuel
n’est pas toujours synonyme d’intelligence» découvrais-je.
Les
classes touchaient donc à leur fin et je priais maintenant pour
bénéficier d’une affectation auprès de mon précieux ami. Cela
aurait été absolument jubilatoire qu’il puisse m’aider à
progresser au quotidien. Mais aussi à me relever si, par erreur, je
venais à trébucher. Bien évidemment, il n'en fut rien! Nous
allions néanmoins rester tous deux sur la capitale… N’était-ce
déjà pas une chance? Très rapidement, je dus me rendre à
l’évidence combien j'étais devenu totalement dépendant de toi.
Je ressentais nécessairement une belle admiration à ton égard,
tout aussi probablement qu’une forme d’amour!
J'avais
ce curieux sentiment que si tu me comprenais si bien, c’était
justement parce que tu étais sans doute passé par ces mêmes stades
évolutifs. À l’actif de cet épisode, j'avais recouvré la foi en
Dieu après l’avoir furtivement mais si intensément perdue! Le
bilan était simple: j’avais consenti à remettre ce que j'étais
en question. Engager le bel ouvrage s’imposait telle une priorité;
mais surtout, j’avais fait la rencontre de quelqu’un
d’exceptionnel. L’aventure ne faisait sans doute que commencer et
il semblait évident que nous allions la poursuivre. L’heure de la
séparation ayant sonné, je prenais un nouveau départ... Seul. Nous
aurions l’occasion de nous voir ponctuellement, bien que ton
affectation serait bien plus prenante que la mienne." Les maladies du Bien.
Pour aller encore plus loin, je vous propose de visionner cette vidéo: Le Divin ou rien.
Portez vous bien en tous temps et en tous lieux.
Yan.
https://www.le-couple-alchimique.com/
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